Introduction
En septembre 2021, la banque annonce que pour rétablir un système de cotation, elle va choisir entre une bourse ouverte ou fermée (voir encadré page suivante). Dans ce contexte, rappelons les propos du directeur belge de Triodos, Thomas Van Craen, au journal Le Soir du 22 janvier 2019 : On voit d’un autre côté que le fait d’être en Bourse renforce toujours la pression sur le rendement financier au détriment d’un rendement sociétal plus large. Triodos, si elle était cotée sur le marché tel qu’il est conçu aujourd’hui, ne pourrait pas remplir la mission qu’elle s’est donnée. Et quand on sait que Mr Van Craen n’est pas du genre à remettre en cause les propos de sa hiérarchie, on se doute qu’il reflète là l’esprit général de la banque.
Tournez bourriques !
La déclaration de Thomas Van Craen, qui n’est que le reflet du principe « anti-bourse » (pour elle-même) que la banque a toujours exposé à ses clients (et qui a fait ses beaux jours en 2008), est importante car en 2023, Triodos a clairement annoncé que son objectif serait d’augmenter le rendement du titre à long terme ! Et en décembre 2021, c’est par le maintien de sa mission que la banque a justifié son choix d’une cotation boursière fermée. Contradictions ?
Bourse ouverte ou fermée ?
Une bourse est un lieu d’échange de titres (ou de tout ce qu’on veut, en fait). On différencie toutefois les bourses ouvertes et fermées. Les premières sont accessibles à tout le monde : Euronext, New York Stock Exchange, London Stock Exchange, Deutsche Boerse, etc. Les secondes, dites aussi semi-ouvertes, n’autorisent que des échanges faibles ou modérées sur un nombre de titres retreints et avec un accès qui l’est tout autant. Les plateformes de trading, ou MTF (Multilateral Trading Facilities), relèvent de ce type. Captin est un MTF puisqu’on ne peut, pour les clients Triodos, qu’y échanger des titres Triodos, et cette plateforme n’est pas accessible à tout le monde (un acheteur doit résider dans un des pays où se trouve Triodos).
Pourquoi ce revirement ? Pour tenter d’amadouer les détenteurs lésés et tenter d’amener de nouveaux acheteurs vers le titre ? Est-ce bien là le sens de la mission de la banque, censée être surveillée et protégée par la Stichting Administratiekantoor Aandelen Triodosbank (SAAT), mais qui a donné son aval à cette transition ? Pour rappel, cette fondation a été créée par Triodos pour administrer les certificats tout en étant l’actionnaire unique de la banque et donc, éviter toute reprise hostile par un grand groupe afin de préserver la mission de durabilité. Il faut constater que face au besoin impérieux de se tirer du problème de la cotation interne, des aménagements moraux ont été trouvés… Tout va bien, relisez l’intertitre.
Or donc, voilà qu’arrive Noël 2021 et ses présents. Ils vont être conséquents :
- Triodos choisit d’être coté sur le MTF (bourse fermée) de Captin, société basée aux Pays-Bas;
- La banque publie une valeur dite économique ou fair value de 59 € (voir p. 18);
- Elle annonce la mise en place d’un programme de rachat de certificat et de solidarité (détaillé dans l’article suivant).
Problème n° 1
Il va s’avérer que le choix d’un MTF local comme Captin est totalement incompréhensible au niveau des détenteurs. Pourtant, lors de l’assemblée générale de mai 2023, la banque et la SAAT n’hésiteront pas à qualifier ce MTF de meilleur choix pour les détenteurs. Ce qui est totalement faux.
Un rapide comparatif sur quelques points avec une cotation sur une plateforme internationale telle Euronext Growth parle de lui-même :
Problème n° 2
Compte tenu de l’évolution des cotations depuis le 5 juillet, Captin n’est manifestement pas la solution attendue. Et ce ne sont pas les promesses de la banque d’adapter quelques réglages (prévus semestriellement, au mieux) qui vont changer quoi que ce soit. Avec Euronext, il n’y aurait rien à changer.
Attention : je ne dis pas que la bourse européenne est la meilleure solution pour opérer des transactions en certificats ! Je dis simplement qu’entre Captin et Euronext, si un choix avait été vraiment fait dans l’intérêt des détenteurs, il est évident que cela ne pouvait pas être Captin.
Le problème est ici structurel : il est très probable que pour des raisons de coûts et de maintien du contrôle par la banque, le management a préféré acheter un slip trop petit, au détriment des détenteurs à qui elle ne propose qu’un seul message : attendez que le cours monte ! Ce qu’il ne fait pas et ne pourra pas faire avant belle lurette, compte tenu des éléments techniques liés à Captin et à la parfaite incapacité de Triodos à (vouloir) soutenir le cours autrement que par des dégraissements de personnel et une augmentation du dividende. La banque a d’ailleurs précisé dans un courrier du 29 août 2023 à la SCTB qu’elle est en pourparlers avec de nouveaux investisseurs potentiels. La Banque Triodos n’a aucun contrôle sur la question de savoir si et quand ces parties achèteront des certificats. Cette prise d’otage orchestrée par Triodos est parfaitement inacceptable.
Problème n° 3
Dans sa communication première, Triodos a tellement minimisé le fait que l’enregistrement sur Captin n’était pas obligatoire que de nombreux détenteurs ont cru que cela l’était. Or, c’est important pour ceux qui ne souhaitent pas vendre. Au cas où un détenteur souhaite transférer ses titres vers un autre (rachat familial, par exemple, pour éviter la création de compte-titres à l’étranger), il ne paiera rien chez Triodos et 50 € chez Captin. Si un seul des détenteurs est chez Captin, le MTF oblige le second à s’enregistrer pour effectuer l’opération et donc, à devenir captif.
Problème n° 4
La banque a conclu un accord spécial avec la Stichting Certificaathouders Triodosbank (SCTB) aux Pays-Bas : pour les détenteurs qui font un transfert gratuit de leurs certificats à une association caritative validée par Triodos, la banque leur rembourse les 50 € pris par Captin. Ce don est déductible fiscalement, ce qui compense un peu l’abandon des certificats. Or, la banque ne propose pas cette intervention dans d’autres pays et encore moins pour les ventes de gré à gré. Il y a inégalité de traitement envers les détenteurs, indépendamment de l’aspect caritatif. Rappelons que ce type d’inégalité a déjà été mis en place par la banque (voir article suivant) et a été recalée par les autorités de contrôle.
Problème n° 5
Lors de l’enregistrement et de l’ouverture d’un compte de négociation, vous donnez mandat irrévocable à la société Captin pour gérer vos certificats et traiter vos ordres. C’est donc un mandat unilatéral, révocable uniquement par la SAAT ! Lorsqu’on pose la question à Captin pour avoir plus de précisions, notamment sur la possibilité de se retirer du système, la réponse renvoie vers les FAQ du site Captin / Triodos, où aucune question n’aborde le sujet. C’est authentique ! À force d’entêtement, nous avons réussi à mettre les pièces du puzzle en place pour comprendre que, en cas de simple insatisfaction des services proposés, il n’est pas possible (ou en tout cas pas accepté) de clôturer un compte Captin tant que des certificats s’y trouvent. Pour ce faire, il faut vendre via Captin ou les transférer sur un autre compte Captin (dont frais). Captin et Triodos interdisent purement et simplement le retour des certificats sur un compte-titres Triodos ! Ceci est démontré dans un article sur le Trioforum, échanges mails avec les deux institutions à l’appui. La question de la légalité de cette procédure reste posée. Le mandat de gestion « donné » à la SAAT par les détenteurs 1En achetant un certificat, on acceptait implicitement la délégation de pouvoir de vote à la SAAT. Ce n’est plus tout à fait le cas. lui permettait-elle de faire n’importe quoi ?
Problème n° 6
Le problème n° 5 est d’autant plus posé que j’ai trouvé un article du règlement Captin (RÈGLEMENT STICHTING BEWAARINSTELLING CAPTIN – V1RB020523) qui précise au point 6.1. que le compte peut être résilié à tout moment et soit que les titres doivent être vendus (au cours qu’on connaît !), soit qu’un compte de contrepartie doit être désigné : Le Compte peut être résilié avec effet immédiat par le Client dépositaire, Captin ou l’Établissement dépositaire. Si c’est le Client dépositaire qui procède à la résiliation, il doit en informer Captin par écrit au préalable et désigner un compte de contrepartie aux fins de l’article 6.2.
À ceci près que Captin ne stipule pas que ce compte de contrepartie doit être une autre compte Captin, et le seul compte externe de ce type qui peut réceptionner des certificats est le compte-titres de… Triodos. Précisons que l’article 7 du règlement stipule qu’un Client dépositaire n’est pas autorisé à céder ou à mettre en gage ses créances à l’encontre de l’Établissement dépositaire à des tiers ou à les grever d’un droit limité, sauf avec le consentement écrit exprès de Captin. Raison pour laquelle Captin accepte des transferts internes. Mais alors, pourquoi pas externes, si ce n’est pas tenir le client captif ?
On notera que cette volonté de captation a été confirmée dans un échange mail de début novembre 2023, où Captin indique : Si vous lisez attentivement notre document, il est indiqué que l’argent peut être transféré sur votre compte, mais seulement après la vente des actions. Mais Captin n’indique pas où trouver cet argument ! Et pour cause, nous ne l’avons trouvé nulle part ! Ce à quoi Captin, renvoie vers Triodos en caftant comme un gamin de cour de récréation : Nous comprenons votre problème, mais c’est la Banque Triodos qui nous a transféré vos certificats d’actions. Nous vous recommandons de consulter la Banque Triodos. Et cette dernière de renvoyer le client à ses études : Suite à l’onboarding que vous avez fait auprès de Captin, il n’est pas plus possible de replacer vos certificats sur votre compte Triodos. CQFD, merci de ne plus nous emmerder ! Sauf que ce n’est pas moi qui ai fait l’onboarding : c’est la SAAT qui a décidé sans me demander mon avis ! Et en plus, je ne l’ai pas confirmé ! Nuance dont la banque se fout éperdument. Pas moi.
Problème n° 7
Les ordres d’achat ou de vente qui sont proposés par Captin à une institution désirant faire coter ses titres sont, d’une manière générale :
1. à prix prédéterminé
C’est la banque qui décide du prix des transactions, fixé sur base du cours comptable. Ce prix est le même pour l’acheteur et le vendeur. C’est ce qui se passait dans l’ancien système de transaction géré par Triodos.
2. en négociation continue
Ici, on est comme dans un bourse classique. Les ordres d’achat et vente arrivent à tout moment et le cours est formé en fonction de l’offre et de la demande. Ce système permet notamment de donner un ordre « au cours » ou « au mieux », c’est-à-dire que celui qui a placé son ordre accepte la valeur du jour, à la hausse ou à la baisse. Mais il est certain que son ordre sera validé.
3. via système d’enchère
Vous placez un ordre d’achat ou de vente via le MTF, mais vous êtes obligé de dire à quel cours maximum vous achetez, ou à quel cours minimum vous vendez. Puis, vous placez votre ordre dans le système, en attente de ce qui est appelé un tour d’enchère qui dure maximum une semaine car les transactions sont hebdomadaires. Pendant ce tour, on peut supprimer ou modifier son ordre. Captin publie journellement les dix ordres les plus hauts / bas, à la vente et l’achat. Cela peut être une bonne indication dans un marché important, mais est parfaitement con lorsque le nombre de titres échangés est ridicule. Dans ce système, il n’est pas sûr que votre ordre soit exécuté.
Bref, je ne vais pas rentrer dans le détail (débrouillez-vous avec le site de Captin), mais il est évident que la troisième option est de loin la plus complexe à comprendre, la plus alambiquée, la plus manipulable et la moins souple. Et devinez quoi ? C’est celle-là que Triodos a choisi pour notre bien à tous, nous a-t-elle assuré. Ça, c’est un vrai problème. Parce qu’un peu plus d’un an plus tard, la banque dit constater que la liquidité est problématique et que c’est une des raisons qui la pousse à se tourner vers Euronext. On aurait donc voulu le faire exprès qu’on ne l’aurait pas fait autrement.
Problème n° 8
Sans leur consentement explicite, mais de manière implicite, et clairement par abus de pouvoir, la SAAT a accepté le transfert des données des détenteurs vers Captin, en acceptant le mandat que Triodos a confié à cette société de gestion des titres. Et ce, avec la complicité de la banque, voire en étant à ses ordres, ce que les passés récent et ancien ont largement démontrés.
Ce faisant, deux réalités sont apparues :
- La SAAT n’a absolument pas défendu les actionnaires, ce qui est pourtant une de ses missions statutaires. Elle a relégué ses ouailles aux oubliettes sans remords, en clamant même avec une innommable condescendance sa satisfaction d’avoir trouvé la soi-disant meilleure solution possible pour les détenteurs. Laquelle a en réalité été mise en place pour sauvegarder ses deux autres objectifs officiels : la défense de la mission durable de la banque et la mise en œuvre de moyens permettant à la banque de faire ce boulot. Pour y arriver, elle n’a pas hésité à sciemment outrepasser le code de conduite des actionnaires qui protègent normalement et prioritairement ceux-ci.
- La banque a protégé ses arrières en laissant les détenteurs mariner dans une sorte de chaudron bouillant et s’est très vite dégagée de ce souci, avant de devoir y revenir quelque peu contrainte et forcée, en mettant en place en février 2023 un questionnaire tout aussi idiot et tendancieux qu’inutile, visant à soi-disant comprendre nos problèmes avec le MTF en vue d’améliorer les choses. Mais en signalant en même temps qu’elle ne pourra le faire que de manière presque imperceptible, la législation l’empêchant d’intervenir dans le processus de transaction 2Elle n’a pourtant pas eu ce scrupule lorsqu’il s’est agit de proposer son opération de solidarité, et de déterminer une fair value donnant au marché futur une indication de valeur à coup de grosses cloches vachères.
. Et de toute façon, il faut faire preuve de bien peu de compassion et de clairvoyance pour ne pas savoir ce qui cloche, surtout que plusieurs associations et votre serviteur ont relevé et publié les multiples incohérences de la formule.
- 1En achetant un certificat, on acceptait implicitement la délégation de pouvoir de vote à la SAAT. Ce n’est plus tout à fait le cas.
- 2Elle n’a pourtant pas eu ce scrupule lorsqu’il s’est agit de proposer son opération de solidarité, et de déterminer une fair value donnant au marché futur une indication de valeur à coup de grosses cloches vachères.