C’est un succès ! (*)

(*) Cyrano de Bergerac, Acte III, scène V, final

(Chronique)

Ainsi donc, ce 18 juin a vu l’étoile de Triodos briller au firmament des plus grandes stars de la cote boursière amstellodamoise après que la Marcelle, une cloche haut perchée, aura lancé les festivités. Gagnant près de 7 %, le titre a dû faire des heureux, terminant sa course du jour à 36,36 €, ayant même atteint 38 € à un moment. Mais sincèrement, qui peut s’en réjouir ? Qui sont les acheteurs et les vendeurs ? Qui parmi les anciens détenteurs a pu ouvrir un compte-titres à temps pour effectuer des transactions ? Et qui s’amuse d’un cours qui depuis, reste famélique, mais malheureusement conforme à la réalité des ce qui était prévu. Aucun miracle en vue, et c’est normal.

Il m’étonnerait que la joie se lise sur les visages des détenteurs de la première heure, et même ceux de la dernière. Pour beaucoup, ils ne sont pas pressés d’opérer une transaction pour en prendre plein la tronche. Car en vendant avec une décote qui reste gravée dans un marbre que l’indemnité de 10 € ne polira guère, l’expérience restera très amère. Restent donc de nouveaux détenteurs, c’est-à-dire ceux qui avaient déjà un compte-titres qu’ils utilisent pour d’autres transactions en actions, ce qui comprend les titulaires d’un compte Captin. Bref, appelons un chat un chat : des spéculateurs.

Est-ce un mal ou un bien ? Le débat n’a pas lieu d’être. Mais une chose est certaine et se résume à une question fondamentale : avez-vous acheté des certificats pour encourager une forme de spéculation ? Poser la question, c’est y répondre. Les gobe-mouches de la SCTB et autres apprentis Candide auront-ils un jour l’honneur de reconnaître que la Banque n’a aucunement sa place dans cet espace capitaliste, prioritairement parce qu’elle nous l’a vendu comme tel ? 

En mars 2017, la banque a publié sur son site un article qui sonne aujourd’hui comme une cloche fêlée (encore une). La Banque Triodos considère qu’il est particulièrement important de protéger sa mission et son identité. C’est la raison pour laquelle toutes les actions de la Banque Triodos sont logées dans une fondation, la Stichting Administratiekantoor Aandelen Triodos (SAAT), qui, à son tour, émet des certificats d’actions auxquels peuvent souscrire les particuliers et les institutions, avec la garantie qu’aucun d’entre eux ne pourra jamais posséder plus de 10% du capital total et de la SAAT. Faites-moi rire ! (La banque) a opté pour un modèle avec des profits plus faibles et tisse les contacts qui lui permettent de financer des projets et des entreprises dans l’économie réelle. En choisissant cette voie, la banque reste éloignée des pratiques qui ont contribué à l’éclatement de la crise financière mondiale de 2008. » Du coup, les augmentations de dividendes, la cotation sur Euronext, les augmentations de salaire et les diminutions de personnel, les fermetures de succursale qui se profilent, tout ça, ce n’est pas grave, alors ? Misère, on ne m’explique jamais rien comme il faut ! Et donc, quand la banque disait : Plus votre habitation (nouvelle construction ou rénovation) est économe en énergie et écologique, plus votre crédit est avantageux. Avec cette formule unique, la Banque Triodos contribue de manière effective à une approche durable en matière de logement, ce n’était pas contradictoire avec l’arrêt de ces mêmes prêts en Espagne et en Belgique, annoncés dans le rapport semestriel 2025. De même, Soumise à la tentation d’utiliser en interne les avantages habituels du secteur bancaire, la banque a opté, conformément à sa mission, pour une politique de rémunération où le fait de prendre de plus grands risques n’entraîne pas des salaires plus élevés, n’est pas relevant par rapport aux augmentations salariales décidées dans les dernières AG pour se mettre en conformité avec les pratiques des sociétés cotées sur Euronext.

A-t-on jamais mieux pris les gens pour des cons ?

On se rappellera les mots de Thomas Van Craen, Directeur de la succursale belge, dans le Soir du 22/01/2019 : On voit d’un autre côté que le fait d’être en Bourse renforce toujours la pression sur le rendement financier au détriment d’un rendement sociétal plus large. Triodos, si elle était cotée sur le marché tel qu’il est conçu aujourd’hui, ne pourrait pas remplir la mission qu’elle s’est donnée. Ceux du communiqué de presse publié en octobre 2020 à l’occasion de la relance ne disent pas autre chose : La valeur de nos certificats d’actions est basée sur la valeur estimée de l’actif net de la banque (actif total moins passif). Cette approche permet d’éviter la volatilité et la spéculation incontrôlées du marché, et assure plus de stabilité au prix de nos certificats d’actions que dans le cas d’actions cotées en bourse. Le lecteur avisé lira en parallèle les propos du même Thomas Van Craen publié en juillet 2025 :

Thomas, quelle est la raison qui a amené la Banque Triodos à se faire introduire en bourse ?
« L’entrée en bourse sur Euronext était l’étape suivante dans notre transition au niveau du capital. Jusque-là, nous achetions nous-mêmes des certificats d’actions aux personnes qui souhaitaient en vendre, pour ensuite les vendre à celles et ceux qui voulaient en acheter. Ce système a bien fonctionné pendant longtemps, mais cela fait aussi longtemps que nous sommes devenus une banque où les détenteurs de certificats sont nombreux et ne se connaissent plus tousAujourd’hui, nous avons 43.000 détenteurs et détentrices de certificats répartis dans cinq pays. L’ancien système s’est heurté à ses limites, et les tentatives que nous avons faites pour le rétablir ont malheureusement échoué. Cela a eu des conséquences importantes pour de nombreuses personnes. C’est pourquoi nous avons consulté les détenteurs et détentrices de certificat, individuellement et en tant que groupes d’intérêts, pour voir ce que nous pouvions faire. Ces discussions ont récemment abouti à un accord avec un grand groupe d’intérêt ainsi qu’à une proposition de règlement »
. Même pas peur !

La suite est encore plus délectable : Mais la Banque Triodos n’était-elle pas la banque qui voulait ne jamais entrer en bourse ?
« Il est vrai que, dans le passé, nous nous sommes élevés contre les excès du capitalisme qui se manifestent en bourse. En soi, nous ne sommes évidemment pas opposés aux transactions puisque nous négocions également des certificats via notre propre système. Nous nous élevons en revanche contre les forces qui agissent sur ces échanges et pour qui la quête du gain financier à court terme constitue l’objectif de la négociation des titres. Et on trouve beaucoup de comportements de ce genre sur Euronext. Nous avons toujours dénoncé cette tension, et nous continuerons à le faire à l’avenir. Notre mission ne consiste pas uniquement à financer le changement, mais aussi à changer le système financier de l’intérieur. C’est à nous de prouver que nous pouvons également le faire en tant qu’entreprise cotée en bourse. Le point positif est qu’il existe maintenant sur le marché boursier un segment d’investisseurs mus par des valeurs et pour qui un investissement tel que la Banque Triodos est très intéressant. Nous sommes la seule banque B Corp sur Euronext, ce qui offre une nouvelle opportunité pour les investisseurs soucieux d’avoir un impact. »

Dans le genre disciple de Jacques Dutronc, on ne fait guère mieux.

Aujourd’hui, la mise en bouteille par la Banque de crédules pécunieux par trop pressés de revoir au moins un bout de leur chemise agrémentée d’une belle cocarde conduit ceux-là à renier leur engagement moral initial. La bonne question à poser est maintenant de savoir pourquoi. Pas pour le bien du plus grand nombre en tout cas, comme on voudrait nous le faire croire. Car permettre la reprise des transactions n’a aucun sens si c’est quand même pour arriver au même résultat : entériner la main basse de la banque sur notre capital ! Offusqués, les concernés s’en défendent et jurent leurs grands dieux qu’ils feront tout pour garder la ligne de conduite de la banque. Rien ne va changer. Et c’est vrai. Car tout a déjà changé.

Voyez ce management qui a mis en place une refonte complète de la structure de la banque. Demandez donc aux employés virés. Et vous, Espagnols, Belges, Allemands, Anglais, tous, préparez-vous à dire au revoir à vos idéaux. Ceux-ci sont sur le grill. Il transparait de plus en plus que la banque va se recentrer sur sa position batave. Économies, c’est le maitre mot ! C’est en profondeur que la mentalité a changé de cap. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’analyse financière du titre publiée récemment par StockWatch aux Pays-Bas, et relayée par Saxo Bank (pur hasard). Nous vous en donnons une traduction (Google translate) ci-dessous.

Que les données et l’analyse soient exactes ou non n’a pas d’importance. Il faut lire plus en profondeur. Réduction des coûts, efficience des process, augmentation de la rentabilité et des dividendes, bénéfice par action, comparaison avec d’autres institutions, et on en passe. En bon suiveur de ses prédécesseurs, le nouveau CEO n’a pas dit autre chose en affirmant devant les caméras d’ABM Financial News : On verra bien quelle sera l’évolution du cours. La seule chose que nous pouvons faire est de miser sur une banque forte, une banque saine, avec une mission claire et une stratégie claire et de faciliter ainsi la croissance, et c’est à l’actionnaire qu’il appartient de le juger et nous examinons évidement chaque année si nous pouvons distribuer un dividende, et de quel montant. L’actionnaire ? cela reste à voir, parce qu’en mettant en bourse un certificat au droit de vote qui n’est plus très clair, on est en droit de se demander si ceux qui veulent tenter d’influencer sur la banque sauront le faire. Quoi qu’il en soit, l’actionnaire, c’est à dire en l’occurrence l’opérateur en bourse, est donc devenu le nouveau décideur invisible de la trajectoire future de la banque. Car qu’on ne s’y trompe pas : si le cours chute par la loi de l’offre et de la demande, Triodos fera ce que toutes les compagnies cotées font : ne pas hésiter à tourner casaque pour survivre et plaire aux Dieux de la cote qui s’appellent offre et demande.

À moins d’être à l’ouest, le premier lecteur venu aura compris que le 18 juin est une fois encore l’occasion d’un appel à résistance. Parce que malgré les dires inqualifiables d’un juge espagnol (fût-il suprême) qui n’a rien voulu comprendre à la nature profonde d’un investisseur Triodos, nous n’avons pas payé pour ça.

Lorsque vous vous engagez dans une voie de défaillance à vos principes, le réflexe est de nier la réalité, et de faire croire au plus grand nombre que finalement, il faut évoluer et que tout cela n’est pas si grave et que de toute façon, tout reste sous contrôle et qu’on garde l’essentiel, et que… et que… On connaît la mécanique. Soyons clair : c’est pure hypocrisie et point barre. Pensez à l’expression favorite de notre bon Fabrizio (du Grand Cactus) et vous aurez celle qui nous occupe en ce moment même. Car nous ne sommes pas dupes des atermoiements de certains qui cherchent à justifier leurs actions honteuses. En tentant de nous faire croire à leurs bons sentiments, ils ne font que souiller ce qui était beau et puissant. Quelle gloire mesquine peuvent-ils tirer de cette posture ? 

En achetant un certificat jusqu’en 2020, chaque détenteur a au moins voulu placer dans un espace de conscience un geste qui lui faisait du bien, qui lui permettait de croire en un monde plus juste et plus sain, loin des affres d’un argent dont on sait au fond de soi qu’il pervertit l’âme d’une humanité qui fait ce qu’elle peut pour avancer, même si on ne sait pas trop vers où.

En faisant coter ses titres sur une bourse, Triodos a décidé de naviguer sur une mare boueuse qui a ses charmes pour la carpe, mais pas pour celui qui voulait faire grandir une banque différente. Pour cela, point n’était besoin de se corrompre, on avait déjà tout ce qu’il fallait dans un monde plus « classique ». 

Alors, disons à ces messieurs : relisez Cyrano ! Et plus pragmatiquement : Veuillez laisser l’endroit de notre conscience aussi propre en sortant que vous l’avez trouvé en entrant.