Le passage sur Euronext

Introduction

En mai 2024, la banque a annoncé son intention de quitter Captin au profit d’Euronext. Cette information très importante confirme l’impression de domino tombant les uns après les autres que vous aurez sans doute perçue au fil des pages précédentes. Cette stratégie de Triodos n’est donc pas due au hasard, tant elle met en avant certains points, dont sa défense d’avoir agit de manière inconséquente antérieurement.

L’abandon de Captin, à terme, est évidemment une chose dont nous nous réjouissons. La banque fait passer cette décision comme étant la sienne. Je ne peux pas m’empêcher de penser que notre plainte auprès de l’AFM (autorité de contrôle) et notre action en justice conjuguée à celle de Triodos Tragedie / RED Triodos, toutes deux signifiée en avril, l’ai poussé sortir de sa réserve. Mais ce revirement n’est pas innocent et pose de sérieuses questions.

Problème n° 1

Le communiqué de presse était encore un modèle du genre puisqu’à le lire, il fallait comprendre que c’est le modèle de cotation qui n’était pas adéquat par rapport à ce qui avait été recherché, et donc que le management n’avait pas eu tort d’aller dans cette voie. L’interview du CEO dans le Finaciëele Dagblad du 14 mai était exemplaire : « Ik denk oprecht niet dat we foute keuzes gemaakt hebben – Je ne pense sincèrement pas que nous ayons fait de mauvais choix ». Ce dédouanement permanent de responsabilité est vraiment malheureux.

Dire que « De MTF was eind 2021 de meest voor de hand liggende keuze / Le MTF était le choix le plus évident à la fin de 2021 » est tout sauf réaliste. En cette fin 2021, un jour avant l’annonce du choix de Triodos, dans les bureaux de la banque et en face du Directeur belge, j’ai manifesté l’intuition évidente que le certificat serait coté sur Euronext. Douche froide et incompréhensible le lendemain. Et je n’ai pas été le seul à le penser. Le CEO a voulu nous faire croire qu’il n’a eu que 18 mois pour trouver une solution pour relancer les transactions. Ce qui sous-entend que le MTF était la solution la plus rapide. Or, il nous dit en mai qu’une cotation sur Euronext devrait être opérationnelle dans les 12 mois ! Allez Jeroen, continue à nous prendre pour des imbéciles, c’est toujours sympa.

À ce propos, j’ai très moyennement apprécié le martelage de l’idée que les demandes d’indemnisation et les actions judiciaires étaient autant d’argent qui était pris dans la poche de la banque et donc, de tous les détenteurs. Quand on voit le pognon qui a été englouti suite à des décisions de mauvaise gestion, on sera prié de ne pas venir donner des leçons. Faut-il rappeler l’arrêt dictatorial des transactions, la détermination inconséquente d’une valeur économique, le choix inepte d’un MTF, l’opération avortée de rachat des titres, les communications incompréhensibles et maintenant ce changement de cap. Chaque fois, des réunions, des communications et des appels à experts qui coûtent un paquet. Rien que la dénonciation du mandat Captin (prévu au départ pour 9 ans, selon nos informations) va coûter un pont (on parlerait de 4 millions, quand même !).

Problème n° 2

On notera que le communiqué “Euronext” s’est accompagné des rapports publiés par les « experts ». On peut se demander pourquoi ceux-là ont été publiés et pas les autres de 2021 et 2022 !? Une chose est sûre : ils servent ici le propos de la banque. Mais peut-être a-t-elle été obligée de le faire par l’AFM ? Il est possible que la contestation des associations à ce propos aie porté quelques fruits, mais on sait que ce n’est pas ça qui arrête la banque si elle veut agir comme elle l’entend.

Pour l’heure, un élément ressort de ces publications : c’est qu’il y aurait un grand nombre de détenteurs qui font confiance à la SAAT. Le tout serait de savoir quelle est leur vraie connaissance du dossier. Et surtout, il apparaît qu’une masse importante de détenteurs reste amorphe face aux évènements. Il s’agit du fameux « ventre mou » dont je révélais l’existence dans mon rapport d’octobre 2022 déjà. Il n’est pas impossible que ce ventre-là soit une bombe à retardement. En effet, si de nombreux détenteurs sont apathiques, ce n’est pas tant par la confiance accordée à la SAAT mais par méconnaissance et inappétence de la chose financière, complétée par un largage complet de la situation face aux communications et aventures incroyables de la banque depuis 2020. Mais il y a une chose que ces gens comprennent : celui du sens du mot « bourse ». Et en général, leur manque de réaction va de pair avec le souhait de tranquillité. Pour rappel, c’est pour cela aussi qu’ils ont souscrits aux certificats, et pas aux Sicav. Or, si Captin pouvait passer pour une nébuleuse, Euronext, ça rentre nettement plus dans une réalité tangible boursière et spéculative. Il n’est donc pas impossible qua ça bouge au pays de Blanche-Neige et Dormeur.

Problème n° 3

Les observations sont une fois encore affolantes. En gros, on nous dit que votre garagiste a pu vous vendre une voiture et qu’on peut être content de cela !

  • La cotation MTF a réussi à rétablir la négociabilité sur une plateforme de négociation externe conformément à la tarification basée sur le marché : Jusqu’à preuve du contraire, c’est son métier !
  • Le MTF a terminé avec succès les enchères hebdomadaires depuis le début de la cotation : C’est une question de point de vue, mais en tout cas, c’est gonflé !
  • La formation des prix des DR sur le MTF est affectée par la disponibilité limitée de liquidités : Il serait utile de parler de l’incapacité du management à manager.
  • Les observations de recherche sur l’accessibilité et les performances opérationnelles confirment que les titulaires de DR ont rencontré des problèmes d’intégration et d’interaction avec la plateforme MTF : Gros point noir car la banque a besoin des Deloitte et cie pour savoir ce que tout le monde savait à l’avance. Et non, ce n’est pas un propos facile a posteriori (voir ci-dessus)
  • L’évaluation indique qu’un groupe significatif d’investisseurs existants et potentiels n’a pas pu ou voulu s’intégrer et négocier sur un MTF : Tu m’étonnes ! Et encore, la banque ne décompte pas ceux qui se sont inscrits sur Captin parce qu’ils pensaient que c’était obligatoire.
  • La Banque Triodos observe qu’elle a consacré des ressources considérables aux efforts d’engagement des investisseurs et que Captin a ouvert plus de 1 200 comptes de négociation : Déjà, on devrait utiliser le terme « seulement 1200 comptes ». Par ailleurs,  il serait utile de savoir combien étaient déjà clients Triodos en épargne ou titres (Sicav), et quelle est la répartition géographique de ces « nouveaux » clients.
  • La cotation des MTF n’a pas encore fourni la solution de trading adéquate que DR Holders et la Banque Triodos recherchent : De nouveau, ça ne manque pas d’air ! Rappelons qu’avant le lancement, le MTF était considéré par le management et la SAAT comme la meilleure solution pour les détenteurs ! Et ce propos est d’ailleurs répété avec bonhommie par le CEO dans son interview au FD du 14/05/24.
  • En outre, les améliorations potentielles du MTF ne sont pas considérées comme capables ou insuffisamment capables d’apporter une solution structurelle en matière d’accessibilité et de liquidité : Pour une découverte, c’est une surprise. Combien de fois avons-nous évoqué l’emplâtre sur une jambe de bois que pouvait représenter une tentative d’amélioration ? Néanmoins, la banque, qui n’est pas à une contradiction près, signale quand même qu’elle va faire son maximum ne ce sens en attendant Euronext. C’est cela, ouiiii…. Ceux qui ont vu bouger quelque chose depuis le mois de mai peuvent me faire signe.

Problème n° 4

On est en droit de se demander si l’apport d’Euronext va changer quelque chose. Il y a le point de vue des détenteurs, et celui du Trioforum.

1. Du côté des détenteurs…

Il est évident que la cotation va améliorer l’accessibilité, la liquidité et la valorisation du titre. Je ne vais sûrement pas dire le contraire vu que j’ai pu comparer les avantages et inconvénients de chacune des formules, déjà dans mon rapport d’octobre 2022. La palme revenait bien sûr sans conteste à la plateforme européenne.

Ce qu’il faut retenir, c’est que c’est la valorisation du titre qui va intéresser beaucoup de monde au point, manifestement, d’aveugler les portemonnaies de certains qui voient déjà une remontée significative du cours. Suffisante en tout cas pour vendre en espérant aussi pouvoir négocier avec la banque une compensation financière moindre que celle qui devrait s’appliquer aujourd’hui. L’espoir fait vivre, mais cela me semble une vue à court terme et irréaliste. Parce que non seulement la remontée du cours est encore largement aléatoire et pas pour tout de suite, mais en plus, la banque a déjà annoncé son intention de ne pas dépenser un liard en compensation. Toutefois, je ne peux pas empêcher les bonnes manières de ceux qui veulent continuer à croire à la discussion et aux bonnes intentions de la banque.

La question est donc : est-ce que le cours va monter ? Je le pense, où plutôt, il va trouver sur Euronext sa zone de fluctuation non plus entre 25 et 35 mais sans doute entre 45 et 55, avec un peu de chance, notamment dans les période pré-dividendes. Certes, c’est un niveau moins optimiste que celui qui a servi à déterminer le cours « fictif » du titre en 2021 et 2022, mais compte tenu des derniers développements sur Captin, on peut supposer qu’on va rester dans des niveaux peu glorieux. Ce qui est sûr, c’est qu’à partir du moment où la banque elle-même a déterminé un cours décoté de son propre titre et que ce dernier est loin d’être une start-up au potentiel de croissance infini, estimer que le cours reviendra à 90 € dans quelques années relèvent d’un doux songe. D’autant qu’on parle de quelques années ! Certes, tout peut arriver en bourse et il est parfaitement possible de laisser les analystes professionnels qui seront à la table d’Euronext le croire aussi. Chacun fait ce qu’il veut. Reste que si elle devrait améliorer les choses sur certains plans, la cotation sur Euronext n’amènera pas de miracle en terme de cours, pour une raison toute simple : ellle se basera, encore plus qu’aujourd’hui, sur une relation cours / dividendes. Ce ratio est fort utilisé dans les cotations bancaires. Au vu des calculs antérieurs effectués par le VEB, il est évident que la politique de dividendes aura une influence sur le cours, mais que le rendement sur action ne pourra tirer la banque vers des hauteurs himalayennes. D’où ma supposition de cours ci-dessus qui, d’après certains, est optimiste.

2. Du côté du Trioforum…

C’est une autre paire de manche. Notre souhait de virer Captin de l’équation Triodos a été atteint. Tout s’emboîte, c’est merveilleux. Tellement merveilleux qu’une autre question se pose : sommes-nous encore dans la domino-party ?

C’est assez évident, tant les observateurs et moi-même nous attendions à un changement de cap obligé, mais pas aussi rapide. Avec un intervalle de temps différent, on est quand même dans le même scénario que celui de l’opération de rachat de titres en 2022, qui n’avait aucune chance d’aboutir. Bref, on ne change pas une méthode qui a fait ses preuves. La tactique de l’erreur obligeant à se choisir une autre piste est manifeste chez Triodos. Ici, Captin n’était sans doute qu’un prétexte pour passer à une cotation boursière pure et dure. Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, en choisissant les système des enchères, c’est à dire le plus alambiqué et le moins performant, Triodos avait toutes les chances de se retrouver face à l’obligation de changer de système.

Évidemment, l’excellente question à se poser, c’est de se demander quelle sera la phase suivante ? Certains ne manqueront pas de penser qu’une OPA est dans le viseur, d’autant que Triodos s’en défend : La mission et les valeurs de la Banque Triodos resteront les mêmes qu’elles ont toujours été. Ce qui n’augure rien de bon. Parce que, chère banque, en validant le système Captin, tu n’as pas hésité à mettre la spéculation à l’honneur, ce que j’ai dénoncé dans mon manifeste lors de l’annonce de notre action en justice à l’a dernière AG de la SAAT.

Problème n° 5

Pour le Trioforum, nous sommes ici au cœur de l’imposture. Pour nous, quelque soient les considérations politico-financière des autorités qui l’entoure, la banque Triodos n’a rien à faire en bourse. Non seulement il n’en n’a jamais été question, mais surtout, en tant que détenteurs, nous avons acquis des parts d’une société bancaire qui justement rejetait pour elle toute présence dans une mécanique dont on ne connaît que trop les travers.

Nous restons convaincu que l’ancien système, auquel il est possible d’apporter des améliorations comme le First in / first out et un buffer décent, reste la solution de confiance pour la banque et ses détenteurs de certificats. En ce sens, nous regrettons la position de la Fondation hollandaise SCTB qui se rattache positivement à cette idée de cotation renouvelée : « de Stichting Certificaathouders Triodos Bank, noemt de aanstaande beursnotering een ‘noodzakelijke, onvermijdelijke en verstandige stap’. – la Stichting Certificaathouders Triodos Bank, a qualifié la prochaine cotation d’étape nécessaire, inévitable et sensée » (FD, 14/05/24). Je reste sceptique sur le mot inévitable. Je crains malheureusement que cette acceptation simplificatrice ne porte pas les fruits espérés par ceux qui la mettent en avant. Évidemment, si une OPA s’invite à la fête, il y a fort à parier qu’ils seront nombreux à ne regarder que le prix offert, sans plus trop se soucier de l’avenir éthique de l’institution. Ne me regardez pas de travers et revoyez vos copies ! Demandez donc aux anciens des Anhyp, Bacob, et autres petites institutions alternatives ce que leur idéaux sont devenus.

Appliquant un principe de précaution et de méfiance salvatrice, je ne puis que mettre en doute l’innocence du procédé Euronext.

Problème n° 6

Il faut constater que la banque aura tenu aussi longtemps que possible pour… gagner du temps. Cette autre technique habituelle chez elle va ici lui donner une très bonne excuse pour renvoyer les contestataires à leurs fourneaux. Sauf qu’on ne parle pas en jour ou en mois, mais au moins en années. En effet, il serait étonnant que les 12 mois nécessaires annoncés par Triodos pour arriver sur Euronext ne subissent pas quelques coups retors du destin et des imprévisibilités de la Banque. Et pendant ce temps, Captin continuera à faire du dégât.