Le tampon de négociation

Avertissement

Le sujet présenté ici est le résumé de l’analyse Le buffer de Triodos, publiée sur le Trioforum, section bibliothèque, rapports.

Introduction

Le tampon de négociation Triodos, appelé plus couramment buffer, est une somme limitée (3 % maximum) utilisée par la banque pour racheter ses certificats aux vendeurs et ainsi assurer une liquidité au titre. L’évolution de ce buffer entre 2007 et 2021 a été publiée par la banque sur son site internet. Le document donne la situation du tampon après le solde des achats et ventes depuis 2007. On peut dégager trois grandes périodes : 2007 – 2010, 2010 – 2019, 2019 – 2021.

Ce document se propose d’analyser ces périodes, partiellement, n’ayant pas accès aux fluctuations internes précises, et de poser des questions. On notera que les graphiques utilisés ci-dessous indiquent en pourcentage l’utilisation du buffer. Plus celui-ci est utilisé, plus il y a de vendeurs.

Problème n° 1

Sans les chiffres d’avant 2007, il faut se concentrer sur la crise de 2008 qui a eu un impact positif sur les ventes de certificats puisqu’elle va montrer la résilience de la banque dans la tourmente. Mais cet impact ne va se manifester qu’à partir du premier trimestre 2009. Entretemps, malgré une augmentation continue des ventes jusqu’à atteindre quasi 50 % du buffer, la banque n’a pas bougé ! A-t-elle estimé que la crise était passagère ? Elle a pourtant eu le temps de voir son buffer monter et aurait eu tout le loisir de mettre un stop de précaution sur les ventes. À ma connaissance, rien n’a été fait.

Problème n° 2

La période 2010 – 2019 se caractérise par un clame plat, le buffer oscillant entre 0 et 1 % d’utilisation, avec un pic ponctuel à 10 % vers mai 2010. Un cours en progression lente mais régulière, accompagné d’un dividende modéré, a sans doute convaincu que nombreux investisseurs de consacrer une partie de leur avoirs au soutien d’une banque durable qui répondait à leurs convictions sociétales. Un long fleuve tranquille ? Non.

On sait qu’à partir de 2017, la banque a été prévenue du danger potentiel du système de cotation interne. Or, à partir de janvier 2018, la limite du buffer est stabilisée à un chiffre fixe, en l’occurrence, 28.200.000 €. Cela fait suite à une disposition règlementaire, nous dit la banque, sans spécifier si c’est externe (une législation), ou interne. La différence est importante. Car si c’est une disposition interne, il sera difficile de ne pas penser que la banque a déjà posé là un jalon pour une future transformation du système de cotation.

Problème n° 3

C’est évidemment la période la plus chahutée, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous. Mais c’est aussi celle qui est sans doute la plus riche en questions.

IFRS…

La banque passe à la fin du semestre d’une comptabilité de type hollandaise à une comptabilité internationale de type IFRS. Pourquoi déjà un petit pic de vente juste avant ce moment qui ne devait être, selon la banque, qu’une modernisation de sa comptabilité compte tenu de la croissance et de l’internationalisation progressives de la Banque Triodos et conformément aux évolutions du secteur bancaire… ? Mais le plus étrange est à venir : entre juillet et début octobre, les ventes vont grimper jusqu’à quasi 40 % ! Qui vend, et pourquoi ? Il est difficile de croire que la diminution de la valeur comptable d’un euro pourrait justifier des ventes en masse de la part de particuliers.

Et puis, est-ce vraiment un hasard que ce passage comptable intervienne après les avertissements reçus en interne sur le danger inhérent à la cotation sur base de la valeur comptable ? Cette norme IFRS ne change pas grand-chose au système, mais il faut bien constater que si l’on veut préparer une cotation boursière, c’est sûr que c’est un bon moyen de préparer le terrain !

Covid, quand tu nous tiens…

A partir de mars 2020, on dépasse largement les 50 % d’utilisation du buffer pour atteindre rapidement 70 %. Tellement rapidement qu’il est difficile de comprendre l’engouement de détenteurs à se défaire de leurs titres. Si l’on compare les mouvements vendeurs de 2007 / 2008 (crise bancaire) au mouvement de mars 2020, on voit une différence fondamentale : le temps d’exécution des demandes de ventes. En 2007, l’augmentation se fait sur plus d’un an, ce qui rentre beaucoup plus dans la logique d’’investisseurs de base qui l’un après l’autre, après des temps de réflexion +/- longs, se défont de leurs titres. Mais en 2020, le scénario est totalement différent !

On sait que la panique, c’est l’art d’aller vite. C’est peut-être ce qu’on fait certains en prétendant que les vendeurs étaient ces investisseurs de l’après 2008, venus pour des raisons financières et non durables. Mais si ces gens ont recherché et trouvé pendant (très) longtemps une forme de chaleureuse sécurité chez Triodos, pourquoi soudainement l’auraient-ils rejetée en situation difficile ? En réalité, le marché n’a-t-il pas été saturé par de gros ordres provenant de professionnels ? Car aujourd’hui encore, on se demande où diable sont ces fameux vendeurs avançant en grand nombre et dont on nous a rabâché les oreilles ? Pas sur Captin, en tout cas, vu les volumes de vente.

Un petit dernier pour la route…

Enfin, on connaît la gestion qui a suivi mars 2020. Mais  pourquoi la banque a-t-elle arrêté la cotation la seconde fois seulement en janvier 2021, et pas en décembre 2020 ?

Si l’on regarde le mouvement entre octobre 2020 et janvier 2021, on a : une montée rapide, une stabilisation, une descente rapide, une stabilisation. Si ces mouvements me semblent très bizarres, la décision de la banque d’arrêter les transactions tout début janvier 2021 l’est tout autant.

En effet, il aurait été logique de stopper l’hémorragie à la semaine 50 ou 51. Non, on attend et, coup de bol, le flux redescend. Comment a-t-on pu savoir que les choses allaient s’améliorer ? Et pourquoi n’a-t-on pas alors justement décidé de poursuivre la cotation, puisque ça descendait, éventuellement uniquement avec les acheteurs ? Il y a sans doute une réponse pragmatique à cette question. En arrêtant de coter en janvier, on évitait de devoir donner une valeur de marché (ou fair value, valeur économique, valeur fiscale) en décembre 2020 et on reportait le problème en décembre 2021 (voir article sur la Fair value).

Conclusion

Il n’est actuellement pas possible d’établir des faits précis avec ce que nous donne Triodos. Mais j’ose penser que les évolutions du buffer sont un élément à mettre au dossier en ce qu’elles renforcent une présomption de plan programmé : la banque n’a sans doute pas planifié tous les évènements que nous avons vécus pour être cotée en bourse, mais elle a certainement posé des jalons pour y arriver. Qu’elle l’ait fait consciemment ou non est un débat stérile à éviter pour rester concentré sur la responsabilité inhérente non pas aux décideurs, mais aux décisions.

Quand il y a trop de hasards temporels, trop de décisions incompréhensibles et trop de barrages forcés, c’est souvent que la vérité est sous nos yeux.