(*) Cyrano de Bergerac, Acte III, scène V, final
(Chronique)

Ainsi donc, ce 18 juin a vu l’étoile de Triodos briller au firmament des plus grandes stars de la cote boursière amstellodamoise après qu’une cloche haut perchée aura lancé les festivités. Gagnant près de 7 %, le titre a dû faire des heureux, terminant sa course du jour à 36,36 €, ayant même atteint 38 € à un moment. Mais sincèrement, qui peut s’en réjouir ? Qui sont les acheteurs et les vendeurs ? Qui parmi les anciens détenteurs a pu ouvrir un compte-titres à temps pour effectuer des transactions ?
Il m’étonnerait que ce soit les détenteurs de la première heure, et même ceux de la dernière. Pour beaucoup, ils ne sont pas pressés d’opérer une transaction pour en prendre plein la tronche. Car en vendant avec une décote qui reste gravée dans un marbre que l’indemnité de 10 € ne polira guère, l’expérience restera très amère. Restent donc de nouveaux détenteurs, c’est-à-dire ceux qui avaient déjà un compte-titres qu’ils utilisent pour d’autres transactions en actions, ce qui comprend les titulaires d’un compte Captin. Bref, appelons un chat un chat : des spéculateurs.
Est-ce un mal ou un bien ? Le débat n’a pas lieu d’être. Mais une chose est certaine et se résume à une question fondamentale : avez-vous acheté des certificats pour encourager une forme de spéculation ? Poser la question, c’est y répondre. Les gobe-mouches de la SCTB et autres apprentis Candide auront-ils un jour l’honneur de reconnaître que la Banque n’a aucunement sa place dans cet espace capitaliste, prioritairement parce qu’elle nous l’a vendu comme tel ?
On se rappellera les mots de Thomas Van Craen, Directeur de la succursale belge, dans le Soir du 22/01/2019 : On voit d’un autre côté que le fait d’être en Bourse renforce toujours la pression sur le rendement financier au détriment d’un rendement sociétal plus large. Triodos, si elle était cotée sur le marché tel qu’il est conçu aujourd’hui, ne pourrait pas remplir la mission qu’elle s’est donnée. Ceux du communiqué de presse publié en octobre 2020 à l’occasion de la relance ne disent pas autre chose : La valeur de nos certificats d’actions est basée sur la valeur estimée de l’actif net de la banque (actif total moins passif). Cette approche permet d’éviter la volatilité et la spéculation incontrôlées du marché, et assure plus de stabilité au prix de nos certificats d’actions que dans le cas d’actions cotées en bourse.
Aujourd’hui, la mise en bouteille par la Banque de crédules pécunieux par trop pressés de revoir au moins un bout de leur chemise agrémentée d’une belle cocarde conduit ceux-là à renier leur engagement moral initial. La bonne question à poser est maintenant de savoir pourquoi. Pas pour le bien du plus grand nombre en tout cas, comme on voudrait nous le faire croire. Car permettre la reprise des transactions n’a aucun sens si c’est quand même pour arriver au même résultat : entériner la main basse de la banque sur notre capital ! Offusqués, les concernés s’en défendent et jurent leurs grands dieux qu’ils feront tout pour garder la ligne de conduite de la banque. Rien ne va changer. Et c’est vrai. Car tout a déjà changé.
Voyez ce management qui a mis en place une refonte complète de la structure de la banque. Demandez donc aux employés virés. Et vous, Espagnols, Belges, Allemands, Anglais, tous, préparez-vous à dire au revoir à vos idéaux. Ceux-ci sont sur le grill. Il transparait de plus en plus que la banque va se recentrer sur sa position batave. Économies, c’est le maitre mot ! C’est en profondeur que la mentalité a changé de cap. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’analyse financière du titre publiée récemment par StockWatch aux Pays-Bas, et relayée par Saxo Bank (pur hasard). Nous vous en donnons une traduction (Google translate) ci-dessous.
Que les données et l’analyse soient exactes ou non n’a pas d’importance. Il faut lire plus en profondeur. Réduction des coûts, efficience des process, augmentation de la rentabilité et des dividendes, bénéfice par action, comparaison avec d’autres institutions, et on en passe. En bon suiveur de ses prédécesseurs, le nouveau CEO n’a pas dit autre chose en affirmant devant les caméras d’ABM Financial News : On verra bien quelle sera l’évolution du cours. La seule chose que nous pouvons faire est de miser sur une banque forte, une banque saine, avec une mission claire et une stratégie claire et de faciliter ainsi la croissance, et c’est à l’actionnaire qu’il appartient de le juger et nous examinons évidement chaque année si nous pouvons distribuer un dividende, et de quel montant. L’actionnaire, c’est à dire en l’occurrence l’opérateur en bourse, est donc devenu le nouveau décideur invisible de la trajectoire future de la banque. Car qu’on ne s’y trompe pas : si le cours chute par la loi de l’offre et de la demande, Triodos fera ce que toutes les compagnies cotées font : ne pas hésiter à tourner casaque pour survivre et plaire aux Dieux de la cote qui s’appellent offre et demande.
À moins d’être à l’ouest, le premier lecteur venu aura compris que le 18 juin est une fois encore l’occasion d’un appel à résistance. Parce que malgré les dires inqualifiables d’un juge espagnol (fût-il suprême) qui n’a rien voulu comprendre à la nature profonde d’un investisseur Triodos, nous n’avons pas payé pour ça.
Lorsque vous vous engagez dans une voie de défaillance à vos principes, le réflexe est de nier la réalité, et de faire croire au plus grand nombre que finalement, il faut évoluer et que tout cela n’est pas si grave et que de toute façon, tout reste sous contrôle et qu’on garde l’essentiel, et que… et que… On connaît la mécanique. Soyons clair : c’est pure hypocrisie et point barre. Pensez à l’expression favorite de notre bon Fabrizio (du Grand Cactus) et vous aurez celle qui nous occupe en ce moment même. Car nous ne sommes pas dupes des atermoiements de certains qui cherchent à justifier leurs actions honteuses. En tentant de nous faire croire à leurs bons sentiments, ils ne font que souiller ce qui était beau et puissant. Quelle gloire mesquine peuvent-ils tirer de cette posture ?
En achetant un certificat jusqu’en 2020, chaque détenteur a au moins voulu placer dans un espace de conscience un geste qui lui faisait du bien, qui lui permettait de croire en un monde plus juste et plus sain, loin des affres d’un argent dont on sait au fond de soi qu’il pervertit l’âme d’une humanité qui fait ce qu’elle peut pour avancer, même si on ne sait pas trop vers où.
En faisant coter ses titres sur une bourse, Triodos a décidé de naviguer sur une mare boueuse qui a ses charmes pour la carpe, mais pas pour celui qui voulait faire grandir une banque différente. Pour cela, point n’était besoin de se corrompre, on avait déjà tout ce qu’il fallait dans un monde plus « classique ».
Alors, disons à ces messieurs : relisez Cyrano ! Et plus pragmatiquement : Veuillez laisser l’endroit de notre conscience aussi propre en sortant que vous l’avez trouvé en entrant.