Pour autant que votre adresse mail soit tenue par la banque, vous avez reçu ce 10 janvier un message de celle-ci indiquant qu’elle avait négocié un accord avec la SCTB (Fondation hollandaise). Si vous n’avez pas eu connaissance de cette information, je vous renvoie au communiqué de presse de la banque.
Il nous a évidemment été demandé quelle était notre réaction. Il faut en distinguer deux, celle de notre avocat et celle du Trioforum.
Le communiqué de notre avocat
Compte tenu de l’importance du sujet, Maître Arnauts a été contacté par la presse et a réagi promptement. Vous trouverez quelques extraits de journaux sur notre site ainsi que son communiqué.
La réaction du Trioforum
Il y a dans la communication de cette nouveauté deux intervenants qui nous ont adressé des messages similaires : la banque Triodos et la SCTB. La première s’est même fendue de trois interventions :
- un communiqué général donnant les grandes lignes
- un courrier du CEO
- une explication de l’impact potentiel sur les résultats
La seconde a informé ses membres urbi et orbi par sa newsletter (version traduite en FR), en donnant plus de détails, notamment sur ses choix et sa position. On peut la comprendre. À ce sujet, on pourra lire mon avis ailleurs sur ce site. Il est toutefois à noter ici que d’après nos informations, la SCTB devrait publier l’accord en long et en large, celui-ci contenant semble-t-il plusieurs volets ou plutôt sous-accords. En fonction de ceux-ci, nous pourrions donc adopter une autre posture que celle du malade à qui on s’apprête à faire un lavement.
En attendant et à notre tour, nous voulons vous communiquer notre point de vue par rapport aux éléments factuels (connus) de cette convention et répondre à quelques questions dont certaines nous ont déjà été posées.
L’annonce faite à partie
Le communiqué du 10 a surpris pas mal de monde, il faut l’avouer. Mais il a éclairé bien des doutes antérieurs.
Comme a son habitude, la banque met les pieds dans le plat et on lira avec attention la publication du CEO qui n’hésite pas à tronquer la réalité. Je ne prendrai pas la peine de passer l’exercice en revue, cela n’en vaut plus la peine. Mais la banque a fait plus malin puisqu’en mettant en exergue la SCTB qui a été le seul interlocuteur à vouloir à tout prix chercher une négociation pour l’ensemble des détenteurs, elle donne celle-ci en exemple d’hypocrisie dans la lutte contre les déviances de la banque. Mieux ! En précisant que le pacte a été pleinement validé par la Fondation, ce qui est inutile sinon il n’y aurait pas d’accord du tout, elle tente d’attiser les rancœurs des autres parties. En effet, la SCTB est de fait présentée à tous ceux qui ne connaissent pas les arcanes de l’affaire comme une sorte d’interlocutrice générale, ce qu’elle n’est évidemment pas (et elle ne l’a jamais prétendu).
À nos yeux, la SCTB n’est malheureusement qu’un instrument utilisé par Triodos pour mieux préparer et justifier son entrée en bourse. Ce qui est proclamé comme étant le résultat d’un long processus n’est en réalité pas un résultat du tout. Croyez-moi : lorsque quelque chose ne plait pas à la banque, elle ne le fait pas, elle ne le dit pas, elle ne l’écrit pas. Et si elle le fait, c’est que soit elle y est obligée, soit c’est que vous êtes le dindon ! Il eût été bon que la Fondation se soit posé cette question fondamentale : à qui profite le crime ?
Much ado about nothing
Examinons les différents volets de cet accord Shakespearien, au nombre de cinq :
A. Offre de transaction financière
Le groupe de détenteurs a pu négocier une indemnité de 10 € par certificat. Deux constats sont à relever :
- Le montant est ridicule. L’aumône citée dans la presse est un sentiment généralisé parmi ceux qui suivent la problématique de près.
- La banque renie ses propos antérieurs stipulant qu’une compensation était impossible car c’était pour les détenteurs se tirer une balle dans pied. Il semble que boiter ne dérange plus le management. Ceci étant, on ne s’en étonnera pas avec une dynamique de gestion aussi bancale que celle de la banque qui tire pourtant avantage de la situation : elle nettoie les écuries avant la cotation, ce qui devrait rassurer le marché. Ce n’est pas pour rien que la conclusion de cet accord se passe maintenant, c’est à dire 3 à 4 mois avant le passage sur Euronext. Le règlement aura d’ailleurs lieu très rapidement, en mars. Pourquoi pas en avril dernier, lorsque les tractations ont débuté ? Parce que le passage sur Euronext pouvait encore capoter et qu’une compensation aurait été inutile ?
B. Ajustement en matière de gouvernance
La SCTB présente cet aspect comme un processus nouveau gagné à la sueur de son front. Ok. Mais mettons-nous un instant à la place d’un investisseur. Va-t-il acheter un titre sur lequel il n’aura aucune prise ? Demandez donc aux gestionnaires de fonds ce qu’ils en pensent, eux qui, de plus en plus deviennent des participants actifs dans les AG des sociétés, notamment au nom de la durabilité.
L’ajustement de la gouvernance était une nécessité pour une institution bancaire de taille moyenne qui doit faire son entrée dans la cour des grands et montrer sa capacité à s’aligner sur les pratiques capitalistes de ses petites camarades cotées. Pratiques par ailleurs validées et encouragées par les autorités de contrôle et autres Banques nationales…
C. Création d’une communauté de détenteurs et meilleure communication
Voyez le point B. De plus, en ce qui concerne la communauté, elle est déjà là : c’est Triodos qui a généré toutes les factions existantes en multipliant les imbécilités.
D. Information et soutien
Il faut un accord pour ça ? Sérieusement, vous ne pensez pas que c’est le minimum à mettre en place pour valoriser le titre ? Pourtant (on ne change pas une équipe qui gagne), il faut croire que le point “communication” ne sera pas amélioré tout de suite : Jeroen nous a précisé que la banque informera les détenteurs sur le passage sur Euronext et, le cas échéant, les soutiendra. C’est bien parti, les gars !
E. Excuses
Ce point n’est curieusement pas abordé dans le texte du CEO. Or, il fait bien partie de l’accord à en croire la littérature de la SCTB. La Fondation, dite de Pyrrhus, a toujours eu ce point à cœur et elle a gain de cause, semble-t-il, après quatre ans, au moins. Peut-être serait-il utile d’évoquer avec un professionnel l’utilité de la démarche, et de ce qu’elle va apporter ? On ne parle pas de crime contre l’humanité : on parle de pognon.
Bref, la SCTB n’a rien obtenu qui n’aurait de toute façon été mis en place à un moment ou un autre, excuses mises à part, reconnaissons-le. Elle a sans doute par contre gagné la déconsidération de beaucoup de gens puisque quoi qu’il arrive, elle passera pour celle qui a trahi en se sortant du foutoir par une pirouette qui ne tirera d’acclamations de personne d’un peu sensé. Car il faut bien reconnaître a posteriori que sa volte-face par rapport au vote sur l’accès à Euronext est maintenant compréhensible et dès lors déjà qualifiée par certains de nos membres par des adjectifs que la bienséance m’interdit de nommer davantage. C’était évidemment le prix à payer pour se voir ouvrir les portes de la générosité de la Maison aux trois chemins. Mais les gonds n’ont pas grincés : on a juste entrebâillé le judas pour laisser voir quelques appâts de l’agape qui se déroulait dans le salon des invités.
D’aucun diront que l’association d’Eindhoven a agi pour le bien de tous, ce qui a toujours été son but. En sont-ils si sûrs ? Ne pourrait-il pas revenir un jour aux oreilles que des accords parallèles ont été conclus ? La chose n’est pas rare. Et s’il n’en est malgré tout rien, la posture prise ne manque pas de poser question. N’en n’être pas conscient relèverait de la bêtise.
Je crois bien que j’vais conclure…
Ce qui me dérange le plus dans cette petite mascarade, c’est que la SCTB valide un point imposé par la banque : l’entrée en bourse. Quoi qu’elle en dise, il s’agit d’une dénégation pure et simple du projet quasi mythique de Triodos. Vous connaissez notre avis à ce sujet (voir le problème n° 5 dans l’article en lien). Et contrairement à ce que s’empresse de dire le CEO, s’il est vrai que le passé ne peut être changé, il peut être réparé. L’accord conclu est loin de cette idée. Car une fois encore, la banque va prendre une grande majorité de ses actionnaires en otage, en l’occurrence, otage d’un sentiment d’incapacité à trouver et recevoir justice.
Qui parmi les petits et même moyens détenteurs pourra se prévaloir d’un excès de haute moralité en refusant l’offre ? Tous ceux qui n’ont pas la possibilité de prendre avocat, ou qui ne le veulent pas compte tenu de tous les paramètres d’incertitude que cela implique, tous ceux qui depuis longtemps ont baissé les bras à force d’incompréhensions répétées, tous ceux qui ne nous connaissent pas et qui font partie du ventre mou, oui, tous ceux-là, et ils sont nombreux, n’ont aucune raison de refuser les 10 € offerts (moins un dividende qu’on n’aura pas, ils sont malins !, et sans compter une éventuelle taxation). Quoi que le mot ‘offert’ soit un peu forcé puisqu’en compensation, il faudra signer ce petit bout de papier de renon à toute forme d’agression envers la banque. Juste une infidélité, une petite concession aux valeurs qui nous conduisent parfois sur les chemins de la facilité pour se sortir du guêpier. Qui ne ferait pareil ?
Oui, je crois que cet agrément et l’opération de compensation auront du succès. Peut-être même que certains, dans un souci d’orgueil ou de lucidité, inviteront la banque à verser cet argent à la Fondation Triodos ou à tout autre organisme de bienfaisance. Pourquoi pas ? Quoi qu’il en soit, ce sera tant mieux pour nous ! En effet, après avoir évacué nombre de potentiels réclamants, à quelque niveau que ce soit, ceux qui resteront dans la course verront deux avantages se profiler à l’horizon de leur patience :
- La banque ne pourra plus évoquer cet argument fallacieux qui est de dire que tout plaignant déforce l’institution au détriment de tous les détenteurs, en faisant croire au passage aux plus gentils qu’à force de remboursements exigés par voie judiciaire, la faillite serait au bout du chemin.
- Moins il y a de pleureurs, plus il y a de mouchoirs à distribuer, et plus il est facile de le faire. Oui, la maxime est de moi et je me comprends. Vous aussi j’espère.
- Finalement, comme l’a signalé Maître Arnault à propos de la jolité du jour, paraphrasant Albert Finney dans le film Erin Brockovich : « Ce n’est pas une offre. Un million de dollars auraient été une offre ». Par contre, c’est bien une aumône. À chacun sa mendicité. Que la banque sache que nous ne sommes pas ses pauvres.